Il était une fois TROIS PILOTES Il était une fois, il y a très, très longtemps, dans une contrée fort, fort lointaine, trois aspirants pilotes qui rêvassaient. Le premier, grand romantique s'il en est un, Arsène Lemorron, avait vu le film Ces merveilleux fous volants dans leurs drôles de machines. Il ne rêvait depuis, que de vols bucoliques au-dessus de vastes campagnes verdoyantes et à des horizons sans fins. Bruno Labruti, le nostalgique du groupe, avait vu La kermesse des aigles. Et comme il était blond, il se prenait pour Robert Redford; et ce, malgré ses cinq pieds deux pouces et ses cheveux frisés. Évidemment, il salivait à l'idée de piloter un biplan, le vent dans ses boucles blondes, le foulard de soie qui virevolte dans le vent. Quant à Collin Lidiaux, le plus hardi des trois, il avait visionné Top gun des dizaines de fois. Ici, pas de compromis possible; notre colon, pardon Collin, veut du F18 et bien sûr, si Kelly McGillis est disponible ... Pour vous dire la vérité, nos trois larrons habitent la banlieue. L'histoire se déroule de nos jours. Ils aiment les avions, le cinéma, la grosse bière et Kelly McGillis; la rumeur veut que l'un d'eux préféra Tom Cruise; mais ça, on s'en fout. Par contre, ils étaient définitivement trois et de surcroît, imbéciles. A force de grosse bière, de fantasmes aériens et McGillissien, nos trois mousquetaires décident de suivre leurs cours de pilote. Et comme le prix de la grosse bière vient d'augmenter, ils décident d'opter pour l'ultraléger. La formation est moins exhaustive et nos amis veulent tout simplement voler. Loin d'eux l'envie d'en faire une carrière ou même de voler un avion plus gros; on veut juste faire des trous dans le ciel et s'amuser. Il y a une école juste à coté. Bref, ce type de formation est tout à fait adapté à leurs besoins. La formation se déroule normalement; tout doucement le romantisme fait place à la réalité et aux limites bien réelles qu'impose la gravité. Bien qu'affublés de noms de famille péjoratifs, nos flibustiers du ciel sont des élèves assidus et parfaitement dans la moyenne; tout permet de croire qu'ils auront de nombreuses heures de plaisir en vol et qu'ils deviendront de vieux pilotes. Enfin le solo, et un beau jour, le permis. Quelques semaines plus tard, cas classique: l'achat d'un ultraléger usagé. C'est ici que mon histoire prend son envol. Tout de compromis qu'ils sont, nos trois compères jettent leurs dévolus et leurs économies sur un biplan qu'ils ont trouvé grâce aux petites annonces. Ça fait l'affaire d'Arsène Lemorron, le romantique. Bruno Labruti, qui se prend toujours pour Robert Redford, y trouve aussi son compte et notre ami Colon, pardon Collin se dit que les Kelly McGillis locales vont le trouver plus irrésistible accoudé à l'aile d'un biplan qu'au capot de sa Firefly rouge pompier. Donald Levendeux, j'adore les subtilités, Mr, Levendeux donc, a construit lui-même son appareil à partir d'un kit, tout ce qu'il y a de plus honnête. Le concepteur de l'appareil a une bonne réputation et celui-ci semble bien construit. Le verbe "sembler" est ici tout indiqué, car notre triumvirat n'a pas fait inspecter le nouvel achat par un professionnel. L'appareil a été construit il y a une dizaine d'années, il a passé quelques années remisé à l'extérieur, n'a jamais eu d'accident « rapporté », le moteur a été refait à neuf dernièrement et tourne bien, la toile est d'une couleur éclatante, et un coup de pied sur le pneu gauche n'a pas eu de résultat fâcheux. De plus, la machine est très robuste, voire indestructible. L'appareil résiste à des forces g de plus 6 et moins 3g; et même si le constructeur désapprouve les man?uvres acrobatiques? Notre trio McDo est heureux, leur expérience et leur assurance augmente doucement. Il faut aussi tenir compte du cheval de bois occasionnel. Bien sur, ils n'ont pas demandé à un instructeur de leur enseigner la roue de queue. Après tout, ils totalisent presque 67 heures de vol, à trois. Ils en ont vu d'autres? Après une belle journée de vol, accoudé à leur bar préféré, Arsène leur raconte son vol. Vol calme, visibilité parfaite, tempête de ciel bleu, survol de vastes contrées sauvages au-dessus des fermes avoisinantes. Mais le houblon aidant, il se perds en conjectures et bravades. Soudain, une déclaration inattendue : Le lendemain, Bruno Labruti, parlant de subtilité? Bref, notre ami Labruti lui, il s'est documenté. Pas bête le Bruno; il a lu sur Internet comment la faire, la boucle. Il l'a même simulée sur l'ordinateur pour plus de sécurité. Et c'est reparti. Le facteur de charge augmente: 1 g, 2 g, 3 g ... il avait bien lu qu'une boucle ne devait pas tirer autant de g. Et comme il n'a pas d'instrument pour mesurer les forces g, il est soudainement rattrapé par le canidé femelle dont il est question plus haut, point 5 sur le graphique. Il avorte donc la man?uvre. Vu sa grande expérience, il a tiré 4.5 des 6 g que peut endurer l'appareil, beaucoup plus que ne devrait normalement entraîner une boucle. Ce que notre ami Labruti n'a pas remarqué, c'est une déformation permanente de l'aile gauche. Le bout d'aile a légèrement plié près de son point d'attache. Le support moteur en a pris aussi pour son rhume: il s'est affaissé de quelques millimètres. L'avion semble tirer à gauche pendant le vol de retour. Sans doute à cause du vent, se dit Labruti. L'avion n'est pas brisé rassurez-vous. Il s'est simplement « légèrement » déformé. Ce soir là, à l'auberge: houblon, compte rendu, bravade, défi, sommation, omission; la routine habituelle quoi. Quelques jours plus tard, Collin, qui n'est pas le moins con des trois, se rend à l'aéroport pour y faire un petit vol. Mais le vilain garnement a emprunté un ( g-meter pour les intimes) et pourquoi pas, un parachute. Sécurité oblige. Après une inspection pré vol rudimentaire, voire inexistante, il s'envole vers l'azur infini. « Elle ne tirait pas à gauche la dernière fois? Bof, ce doit être à cause du vent de travers. » Et comme le propriétaire de l'accéléromètre lui a donné des conseils sur l'art de l'acrobatie aérienne; il y va de grand c?ur. Après tout, il est bien équipé, avec un accéléromètre pour ne pas soumettre la machine à un effort excessif et de surcroît, un parachute. La première boucle se passe bien, pour une première. L'accéléromètre monte vers les 3 g . Une deuxième, mais plus serrée, et voilà que Lidiaux invente, sans le savoir, une nouvelle figure acrobatique. Les g s'additionnent rapidement; 1 g, 2 g, 3 g, jusqu'au moment ou l'effroyable arrive. A 5.7 g, le moteur veut quitter l'appareil; la batterie, quant à elle, ne peut résister à la tentation mais elle est retenue par les câbles électriques. Le bout d'aile blessé se plie jusqu'à former un angle droit par rapport à la position prévue par le concepteur; violent mouvement de roulis à gauche et de tangage; faut-il le mentionner, vers le bas. « C'est pas ça qui était écrit dans la brochure.» Angoisse soudaine, panique, extirpation du cockpit, premier saut en parachute. Le capitaine ne coula heureusement pas avec son navire. La première chose que fit Lidiaux après avoir touché le sol, fut de jeter ses sous-vêtements, ensuite il téléphona à ses partenaires pour leur faire part de la nouvelle. Bilan : L'enquête révéla que l'appareil avait été construit selon les standards de l'industrie. Bien qu'il ait pu en effet, au dépar, résister aux stress publiés par le constructeur, les réparations non standards effectuées à la suite d' «accidents non rapportés », les chevaux de bois, les abus et surtout la déformation permanente causée par le dernier vol de Labruti on considérablement diminué la résistance structurale de l'avion. Le vol de Bruno a dépassé le facteur de charge limite de 3.8. Passé cette charge, la déformation permanente a sérieusement affaibli la structure. Un espar, un support moteur, un support de batterie tordus ou un point d'attache déformé ont affaibli de beaucoup le concept original. Une chaîne n'est pas plus forte que son maillon le plus faible. L'avion pouvait très bien résister aux forces g publiées par le constructeur; à condition qu'il soit bien entretenu. Si on en néglige l'entretien, ou si on abuse de la machine; rien ne va plus. Tous ces facteurs ont eu raison de la structure avant le 6 g publié par le constructeur. Morale de cette histoire: La résistance structurale de plus 6 et moins 4 g que fait miroiter le concepteur est réelle. Il doit en faire la preuve et la documenter. Ces données sont réalistes pour une machine neuve, assemblée selon les règles de l'art et bien entretenue; donc, au bout de combien d'abus ces données vont-elles s'amoindrir? Ces chiffres sont aussi excellents pour le marketing. Ne vous laissez pas berner, ce n'est pas une invitation à l'acrobatie. Vous noterez qu'aucun constructeur d'ultraléger n'approuvera que ses machines servent à réaliser des acrobaties, et aucune non plus n'est homologuée pour les vrilles. Hasard ??? Si l'envie vous prend de faire de l'acrobatie, suivez un cours avec un instructeur qui est qualifié pour vous donner ce type de formation. N.B. Toute ressemblance avec toute personne à peine conçue, vivante, décédée, ou en voie de l'être (conçue ou décédée) ne serait que le fruit du hasard. Mais? seuls les noms des innocents ont été changés pour éviter que leurs descendances ne soient affublées de sobriquets regrettables. |