Voler comme un oiseau, le plus vieux rêve de l'homme, et peut-être aussi de la femme. Rien à voir avec le plus vieux métier. Le vol gracieux de l'oie blanche, l'ammerrissage du canard sauvage, l'envol quasi magique du héron; un coup de ses grandes ailes, le train rentre et l'oiseau s'envole. Une escadrille de moineaux qui donne la chasse à une corneille , un harfang des neiges qui fond sur sa proie, le vol plané du goéland au dessus des poubelles du Wac Do. Comme c'est beau! Ça doit être super, de survoler d'un coup d'aile lacs et rivières, parcourir des distances autrement infranchissables, en un clin d'oeil. Que de douces visions oniriques... Le vol, c'est magique, enchanteur; c'est à se demander comment il se fait qu'on se fasse traiter de fou suicidaire aux réunions de famille. On a beau avoir l'étincelle qui brille au fond des yeux et le discours passionné dès qu'on en parle, rien n'y fait. Ça y est, je me lance, vous êtes-vous dit un beau matin, et vous voilà devant l'instructeur qui vous donnera votre baptême de l'air.
Le premier vol est toujours magique; une fois en vol, après quelques notions de base, l'instructeur vous laisse les commandes, et vous vous amusez comme un petit fou; d'abord timidement; petits virages en douceur, on tire ou on pousse sur le manche tout doucement pour voir la réaction de l'avion, et petit et à petit on prend plus d'assurance. On est tellement occupé qu'on n'a même pas le temps d'admirer le paysage. Jusqu'au moment où vous voulez descendre plus bas.... Comment ça pas trop bas?
Pardon? Vous avez bien dit "altitude minimum"? Mais, grands diables, pourquoi donc? Je veux voler pour admirer le paysage: trop haut on ne voit rien des détails.
Je sens poindre ici une déception soudaine. Qu'est-ce donc que ce sport qui m'empêche de survoler MA ferme à basse altitude? C'est pas du jeu? Vous voulez dire que je ne pourrai pas suivre le sentier de motoneige à 10 pieds du sol pour surprendre les motoneigistes? Je ne pourrais pas non plus chasser le coyote du haut des airs? Comment savoir la direction qu'a prise le gibier si je ne peux même pas voir ses pistes? Je ne pourrai pas non plus faire des "tatas" à mon oncle sur son tracteur de ferme, ni faire une passe au-dessus du lac pour réveiller mon beau-frère qui dort dans sa chaloupe, ou encore aller surprendre la voisine pendant ses bains de soleil? C'est quoi l'idée? Ça donne quoi de voler d'abord? En plus, plus on monte, plus il fait froid. J'ai vu la vidéo publicitaire d'une marque d'avions ultra-légers, et ils volaient pourtant très bas, à en juger par l'ombre qu'ils projetaient au sol; ils étaient à peine à une vingtaine de pieds au-dessus des champs et des marais: c'est quoi l'affaire? Eux, ils peuvent, mais pas nous autres... Je pensais qu'on pouvait voler à la hauteur qu'on voulait. Le gars à l'autre école m'a dit qu'on pouvait voler à la hauteur qu'on voulait avec un ultra-léger; on a même volé à la hauteur des arbres presque tout le temps. Il s'amusait même à les contourner au lieu de passer par-dessus. Et il m'a dit qu'on avait le droit de faire ça avec un ultra-léger comme le sien.
Ça sonne familier? J'espère que non. Si oui, a-t-on mis votre sécurité en jeu? Avec votre expérience d'aujourd'hui, qu'en pensez-vous?
J'ai retrouvé dans mes vieilleries - et plus on a de cheveux gris, plus on en a - un test qui questionne le vol à basse altitude. Je commence à en avoir pas mal, des vieilleries; pas des cheveux gris. Les cheveux gris tombent à mesure, j'en accumule moins. Bon, ça y est, vous dites-vous, un autre "remâchage" sur la sécurité, et gna, gna, gna... Voler bas, c'est dangereux, tu vas décrocher, un de ces jours, tu vas te barrer les pattes dans un fil; si t'as une panne, t'as pas d'options, l'illusion créée par la dérive est plus importante près du sol et c'est plus difficile de faire des virages cordonnés, c'est bruyant, les voisins vont se plaindre, tu vas faire courir le bétail, l'éleveur va te tirer au douze.
Ça sonne familier et ennuyeux? Ne désespérez pas, chers lecteurs, continuez à lire, ça empire. C'est que, souvent, dès qu'on arrête de parler sécurité, les accidents semblent arriver au galop. Qui ne connait pas un menuisier qui a marché sur un clou, le dimanche matin, pendant la grand-messe, en faisant des rénovations chez lui? Il passe 40 heures par semaine avec des chaussures à semelle d'acier et avec les agents de la CSST au cul, mais chez lui, il porte des espadrilles à semelle de caoutchouc, sans parler du reste de son équipement protecteur. Punition divine, diront certains, semelle de mauvaise qualité, diront les autres. A vous de voir!. Un proverbe arabe dit: " Fais confiance à Allah, mais attache quand même ton âne." En vol, à 20 pieds au-dessus du sol, ton âne n'a pas une bien grosse corde.
J'ai donc déniché un petit questionnaire pour vous. En tant que "commandant de bord" - n'est-ce pas que ça sonne plus important que simplement pilote? - vous vous devez de connaître votre appareil sur le bout de vos doigts. Il va sans dire que vous pourrez donc répondre sans hésiter à ces petites questions qui seront pour vous, j'en suis sûr, sans surprise et d'une évidence aussi limpide que de la mélasse. Messieurs, les commandants de bord, à vos crayons, partez!
Quelle sera la perte de vitesse de votre aéronef lors d'un virage de 180° avec une inclinaison de 45°?
Quelle est la distance nécessaire pour effectuer un tel virage de 180°?
Avec un vent arrière de 10 noeuds, quelle est la distance additionnelle pour effectuer le même virage? Évidemment, vous êtes coordonné tout au long du virage. Le brin de laine ou la bille est toujours bien au centre?
Avec votre adresse légendaire, pouvez-vous effectuer un virage à 45° d'inclinaison sans perdre la moindre altitude?
A quelle distance pouvez-vous voir un fil électrique... l'été?
S'il vous faut tirer brusquement sur le manche pour éviter un fil électrique, quelle est la distance nécessaire avant que la trajectoire de l'aéronef ne change?
Combien s'écoule-t-il de temps à partir du moment où l'oeil voit le fil électrique devant vous, que votre cerveau passe ensuite en mode survie, qu'il envoie le signal à votre bras, que celui-ci tire sur le manche, que l'avion réagisse et qu'enfin vous survoliez, espérons-le, l'obstacle?
S'il vous faut entamer une montée brusque, quelle sera votre vitesse après une montée de seulement 300 pieds? L'apparition soudaine de l'obstacle vous aura évidemment fait oublier d'augmenter la puissance.
Quelle est votre vitesse de décrochage, en configuration lisse, lors d'un virage à 45° d'inclinaison, toujours en étant parfaitement coordonné?
Quelle aile s'affaissera la première lors d'un décrochage pleine puissance au cours d'un virage dérapé en montée à 45° d'inclinaison avec un vent arrière de 10 noeuds?
Tordue celle-là!
Quel est votre temps de réaction et quelle est l'altitude nécessaire pour atteindre la vitesse de vol plané lors d'une panne moteur au décollage sur un avion propulseur?
Ayant des spectatrices en jupes courtes, vous êtes bien sûr pendu à l'hélice, à la vitesse du meilleur angle de montée.
Vous manquez d'essence dans un réservoir; quel est le temps et/ou l'espace vertical nécessaire pour changer de réservoir et remettre l'appareil en marche?
Quelle est votre distance planée à 100 pieds d'altitude, avec un vent arrière de 10 noeuds?
Est-ce que votre pare-brise ou la visière de votre casque peut résister à l'impact d'un goéland de trois livres qui vient de faire le plein chez Wac Do?
Est-ce que votre hélice ou votre train d'atterrissage peut couper un fil électrique?
Pouvez-vous répondre à toutes ces questions?
Le vol à basse altitude vous attire-t-il toujours?
Mélangez l'ignorance et l'arrogance à basse altitude et les résultats seront assurément spectaculaires!
Vous en voulez une deuxième? Un super pilote utilise son super jugement pour éviter les situations où il aurait besoin de ses super compétences.
Et pourquoi pas une troisième? Personne n'a jamais battu le record d'altitude minimum.